"Un peuple de pêcheurs-nés"

Les Vezo, dit-on, croient en une sorte de Neptune ou de Poséidon régnant sur ce lieu saint qu’est la mer. Tout autant que sur la terre ferme, il existe sur ces immensités des endroits sacrés, ou "fady", et des rites à observer sous peine d’encourir les pires malheurs. Un rocher solitaire est immanquablement la demeure de quelque esprit à honorer. Il est hors de question de consommer de la viande de porc lors des sorties en mer, et la meilleure garantie pour se sortir des mauvais grains est encore d’invoquer le nom de naufragés...
Faire glisser la pirogue sur le sable, le soleil à peine levé, hisser le mât et la vergue, trouver le bon passage parmi les vagues, ce sont là des gestes ancestraux refaits chaque jour. Aujourd’hui comme jadis les techniques de pêche sont restées les mêmes à savoir la traîne, le filet, et le trident. Un hameçon suffisamment costaud fixé à un fil de nylon lesté d’un bout de fer rond, un morceau de papier aluminium découpé dans un paquet de cigarette en guise de leurre en attendant d’avoir d’autres appâts, les muscles nécessaires pour remonter le thon ou l’espadon, et le tout est (presque) joué. Le pêcheur connaît le moment précis et le geste sûr pour l’estocade finale où il plantera son trident.

La population du Sud-Ouest aurait deux origines, l’Afrique toute proche et l’intérieur des terres. Les plus anciens, considérés comme "tompon-tany", ou propriétaires de la terre, ont été assujettis à partir du 16ème siècle par une aristocratie guerrière venue du Sud-Est et du Centre-Sud. Certains chercheurs considèrent la couche culturelle Mikea-Vezo comme le premier substrat bantou de ces grands mouvements de migration. Et si au 17ème siècle Flacourt ne mentionne nulle part les Vezo, il parle par contre des Voroneoke qui habitent le village de Saint Augustin, et dont la culture marine n’est pas différente de celle des Vezo-Antavelo.

Les Vezo sont un peuple de pêcheurs-nés. La chasse-collecte "mihake" se pratique dans la zone des récifs. On y cherche surtout les poulpes "orita" et quelques poissons de récifs, les gonades d’oursin "soke", les coquillages "tsakody" ou encore les holothuries "zanga". La pirogue à balancier "laka", devenue l’image emblématique des pêcheurs Vezo, les emmène au large et parfois même très loin des villages d’origine pendant la saison sèche "asotse". Les voiles, la plupart du temps fabriquées à partir de sacs de riz assemblés, deviennent alors des tentes le temps d’un arrêt.
Mais n’en déplaise aux amoureux de tableaux idylliques, il est aujourd’hui devenu erroné de confondre systématiquement Vezo et pêcheurs Vezo. Beaucoup délaissent la mer, certains devenant des "Vezompotaka" ou Vezo de la boue, une expression désignant ceux de l’intérieur. Selon les estimations, les Vezo sont urbanisés à plus de 50%, et ils constituent 40% de la population de Tuléar. Leur implantation s’y traduit par des quartiers-villages tels Anketrake, Ambohitrabo, Besakoa, Tsimenatse ou encore le plus ancien, Mahavatse. Les Vezo sont aujourd’hui aussi commerçants, instituteurs, bureaucrates, ils sont même parmi les plus nombreux dans la fonction publique avec les Merina et les Betsileo. Mais ils n’ont pas oublié pour autant leurs traditions, ni la mer devenue pour beaucoup un jardin intérieur.
Texte : Thompson Andriamanora
Photos Pierre-Yves Babelon
Remerciements à Ankasy Lodge, Salary Bay, Lakana Vezo