"L'or noir de Madagascar"

La liane de vanille “fragrans”, qu'on appelle aujourd'hui vanille Bourbon a été introduite à Madagascar en 1870. Elle ne débarquait pas tout à fait en terre étrangère, puisque 5 espèces endémiques de vanillier sauvage ont pu être répertoriées dans les forêts malgaches. Implantées au début sur la Côte-Est, elle a émigré plus au Nord dans la région SAVA (Sambava, Antalaha, Vohémar, Andapa), où le terroir et les conditions climatiques lui convenaient mieux. En 1924, Madagascar était déjà le premier producteur mondial avec environ 300 tonnes. La production actuelle dépasse régulièrement les 1000 tonnes à une distance respectable de l'Ouganda (moins de 300) ou de l'Inde (moins de 100).

Contrairement à ce que l'on peut croire ailleurs, la vanille exige une longue préparation avant son exportation. Tout commence par un bain d'un peu moins de 3 minutes dans une eau à 60°, et un étuvage dans une malle capitonnée où elle “sue” pendant un à deux jours. La vanille prend alors sa teinte chocolat, et le parfum commence à sortir.
S'ensuivent 3 heures quotidiennes de séchage au soleil pendant une quinzaine de jours et un mois à l'ombre, question d'enlever toute l'humidité. Le planteur peut alors vendre sa vanille "vrac" ou "préparée" à l'exportateur qui prend la relève avec diverses manipulations dont la poursuite du séchage à l'ombre, le calibrage des gousses, la mise dans des malles capitonnées de papier paraffiné. L'affinage en malle dure entre 3 et 6 mois, et c'est à ce stade que le parfum se développe le plus. Les gousses se rident, les plus belles sont onctueuses et d'une belle couleur brune. 18 mois se seront écoulés depuis la fécondation de la fleur jusqu'au conditionnement final, et à l'exportation vers les pays consommateurs.

Une exportation qui a eu son lot d'aléas puisque, si les prix se sont maintenus entre 50 et 75 dollars pendant une vingtaine d'années, la concurrence des produits de moindre qualité et la pratique du "blending" de la part de certains traders ont abouti en 1996 à des chutes catastrophiques jusqu'à 16 dollars ! Une tendance inverse, toute aussi débridée, s'est par contre affirmée après le cyclone Hudah de 2000 quand, cédant à la panique des acheteurs, les prix sont passés du jour au lendemain de 50 à 100 dollars. La courbe inflationniste s'est maintenue 3 ans, jusqu' à ce que les utilisateurs finaux sortent le carton rouge, et se tournent vers les produits de substitution. Il est en effet possible de faire de la vanilline biotechnologique en travaillant des déchets de betterave, ou même de la vanille de synthèse entièrement chimique à partir de bois ou de papier journal… Après avoir connu des pics à 475 dollars, les cours ont de nouveau plongé jusqu'à 25 dollars lors de la crise de 2004, pour aujourd'hui se stabiliser entre 30 et 50. A ce niveau, la tendance des industriels est de revenir au naturel au lieu de continuer à utiliser des extraits de synthèse qui, dans une certaine mesure, leurrent la clientèle.

Dans la parfumerie, la différence est évidente, car le bouquet d'arôme de la vanille naturelle est unique. Dans l'agro-alimentaire par contre elle est moins facile à déceler et doit passer par des campagnes d'information du consommateur. Les étiquettes sont parfois trompeuses, les produits en question pouvant fort bien n'utiliser qu'un parfum de synthèse enjolivé par de la vanille épuisée broyée. La tendance actuelle est fort heureusement à l'intransigeance en matière de santé, et certaines propriétés inattendues peuvent aussi jouer en faveur de la vanille naturelle. Il est par exemple prouvé que son parfum permet aux prématurés d'échapper à l'apnée du nourrisson qui risque de les faire suffoquer. La théorie soutenant que tout ce qui est anti-oxydant peut empêcher le vieillissement précoce des cellules est aussi à suivre de près.
La vanille malgache rattrape le temps perdu, avec moins d'exotisme peut-être mais désormais plus de rigueur et sur fond d'alignement sur les normes phytosanitaires des pays importateurs. Elle fait vivre 70.000 personnes et d'autres régions s'intéressent à sa culture. Des initiatives comme l'Atelier National d'Août 2005 sont venues bien à leur heure pour que soit préservé le Label Madagascar.
Texte : Thompson Andriamanoro
Photos Pierre-Yves Babelon