"Une ligne atypique"

La ligne de chemin de fer reliant Fianarantsoa à la Manakara a été inaugurée en 1936. Les archives parlent de huit millions de mètres cubes de déblais et de 225.000 mètres cubes de maçonnerie pour un parcours de moins de 170 kilomètres. La longueur des mèches d'explosif utilisées aurait atteint 1730 kilomètres, et les cartouches le nombre faramineux de 3.470.000 ! Avec son parcours souvent à flanc de falaise, ses 56 tunnels creusés à la main, ses quatre grands viaducs dont celui d'Ankeba à 40 mètres au dessus d'une vallée, sa quarantaine d'autres ouvrages d'art, le FCE comme on l'appelle est vital pour l'économie de la région, et est à lui tout seul une attraction touristique à grand spectacle..

Les connaisseurs recommandent d'effectuer le trajet plutôt dans le sens Manakara - Fianarantsoa pour mieux “vivre” la découverte de la falaise. Manakara, une petite ville portuaire du Sud Est se souvient peut-être encore du temps où elle était belle avec son quartier “européen”, ses cases traditionnelles Antemoro, et le périmètre animé du port. Première singularité avant de s'aligner sur la route d'Irondro en direction des marais d'Ambila, la voie traverse l'aérodrome pour une cohabitation rail-air sans problème en raison de la rareté des fréquences d'un côté comme de l'autre. La sortie d'Ambila marque la frontière entre le pays Antemoro et celui des Tanala en pleine forêt tropicale, avec leurs huttes disposées en ligne droite. Les Ravinala, “arbre du voyageur” et leur réserve d'eau marquent la végétation. Précaution tout à fait superflue de la nature dans une région à hydrographie très dense où tombent près de 3000 mm de pluie par an !
A partir de Manapatrana, un coin perdu où dans le temps les gamins proposaient des martins-pêcheurs aux voyageurs, le tracé se fait plussinueux. La succession des ouvrages d'art est impressionnante. Lors des rares lignes droites, il est possible de voir trois ou quatre tunnels à la file.

A Tolongoina commence la partie la plus spectaculaire du trajet, durant laquelle le convoi doit racheter plus de 600 m de dénivellation sur un parcours d'à peine 20 km. L'impression d'être enavion est presque parfaite.
PK 48, les chutes de la Mandriampotsy. Au dessus de la voie, une cascade d'une vingtaine de mètres, et sous le pont, une autre chute d'égale importance. La vue plonge sur la forêt de l'est en contrebas. Trois kilomètres plus haut à Andrambovato, la vue peut porter par temps dégagé jusqu'au bleu de l'Océan Indien. Un dernier coup d'oeil sur cette nature majestueuse avant de s'engouffrer dans le tunnel d'Ankarampotsy long de 1070 m. La fraîcheur succède à la chaleur, les pins aux bambous, les maisons en dur aux cases en falafa, et les Betsileo aux Tanala.
Le train requinqué avale maintenant les kilomètres à travers les champs de thé de Sahambavy, comme pressé de se remettre de toutes ces émotions à Fianarantsoa. Là est le terminus d'une ligne atypique dont la construction a été un exercice de style pour ses concepteurs, et un goulag pour tous les travailleurs forcés qui y ont laissé leur vie.
Texte : Thompson Andriamanoro
Photos Pierre-Yves Babelon