"Un site de rêve..."

“Quand ces calebasses seront sèches et que je ne suis toujours pas de retour, tu pourras te proclamer”. Ainsi parlait Raminia à son cadet Andriadrakovatsy au moment de rentrer provisoirement à La Mecque pour prendre ses richesses. Comme dans toutes les légendes, ce dernier ne sut pas attendre et dut s'enfuir à Manafiafy, pas loin de l'actuel Fort Dauphin, pour échapper à la colère de l'aîné. Pris de remords, il lui céda toutes ses terres quatre ans plus tard pour aller s'exiler plus au nord. Raminia, un élu de Dieu, était né directement de l'écume de la mer, et tout le pays Antanosy le revendique comme ancêtre commun.
Les tout premiers jours de l'An 1613, le Nossa Senhora Da Esperanca appareillait à Goa sur la côte de Malabar avec pour instruction de Sa Majesté de mettre le cap “sur une grande île africaine” où, pour subsister, des compatriotes naufragés avaient érigé - vraisemblablement entre 1529 et 1545 - un bâtiment qui serait encore en assez bon état. Le capitaine Paulo Rodrigues Da Costa parvint effectivement à retrouver le fort, reconnu comme la plus ancienne construction en dur de Madagascar, à 10 km à l'ouest de Fort Dauphin sur le fleuve Efaho. Mais il s'intéressa plus à une stèle qui le jouxtait, “très belle en marbre jaspé, haute de neuf empans, large de deux, et épaisse de un, dont l'une des faces portait, finement gravées, les armes du roi du Portugal avec ses cinq besans d'argent et ses sept châteaux d'or”. Quant aux naufragés, c'est à peine s'ils ont pu savoir que les populations appelaient leur capitaine Andriamasinoro, ce qui serait l'amalgame de “Andriana” et de “Meu Senhor”…

1674. Le Code Noir qui allait légaliser l'importation de milliers d'esclaves à l'île de La Réunion ne sera institutionnalisé qu'un demi-siècle plus tard. Chassés par une révolte de tribus, les français de Fort Dauphin émigrèrent avec quelques femmes malgaches sur ce qui était alors l'île Bourbon, et dont ils constituèrent la toute première colonie de peuplement. Parmi les femmes, Louise Tserana devint l'épouse d'Antoine Payet dit “Laroche” pour ensuite se remarier avec Etienne Grondin. Elle est l'ancêtre de ceux que les clivages appelleront les “petits blancs”…
De cette Riviera du Sud-Est on pourrait deviser longtemps encore sur le passé mouvementé que symboliserait bien le népenthès. Fleur dite carnivore mais qui aurait aussi eu le pouvoir d'arrêter les larmes de Télémaque, elle emprisonne sans merci dans son cône les insectes imprudents.
Fort Dauphin attire, idéalement située entre deux baies au pied du Pic Saint Louis dont le sommet livre un des panoramas les plus grandioses de l'île. Que le regard ne se presse pas pour embrasser Sainte Luce, les îles Lokaro, la Pointe Evatra, l'Anse Dauphine, la Pointe Libanona, la Baie des Galions, le Cap Ranavalona, ou le plan d'eau de Vinanibe ! Il est par contre recommandé d'y aller ensuite au plus vite, pourquoi pas à Evatra avec pêle-mêle son village de pêcheurs entre lagune et océan, la possibilité de passer la nuit dans une case sur pilotis, une expédition aux îlots avec en prime de mémorables ballades à travers les canaux bordés de mangroves. Ou encore à Sainte Luce qui marque le début de l'immense Côte Est étonnamment rectiligne.
Texte : Thompson Andriamanoro
Photos Pierre-Yves Babelon
Remerciements à Groupe SHTM, Air Fort Services, Kaleta, Evasion sans Frontière